LES JARDINS DU CŒUR

- Laissez-moi mettre mes lunettes, les réponses seront plus claires !

Des yeux malicieux, sans âge, voilà Jean-Pierre Masclet. Trois minutes, c’est le temps qu’il lui aura fallu pour tutoyer son interlocuteur. Il a été arboriculteur, vigneron, pépiniériste, et surtout, pour 265’000 auditeurs hebdomadaires, Monsieur Jardinier.

A 67 ans, il a choisi de prendre sa retraite, c’est-à-dire, de travailler à plein-temps pour les Cartons et Jardins du Cœur, une association caritative offrant une aide matérielle et ponctuelle aux personnes démunies : 3 cartons par an pour 900 familles d’Yverdon et environs, 150 autres à Sainte-Croix, 30 bénévoles et un président, Jean-Pierre Masclet.

Nous sommes dans le « lieu de vie » de l’association, une ancienne cabane militaire déposée ici, en plein centre d’Yverdon, entre les voies ferroviaires et l’usine Leclanché. Quelques tables soigneusement nappées, une cuisine fonctionnelle, un petit bureau, des classeurs et l’encyclopédie complète en six volumes Un beau jardin. Aux murs, une réplique d’un chèque généreux du Rotary Club et les fameux Accords Toltèques : « Quoi qu’il arrive, n’en faites pas une affaire personnelle, faites toujours de votre mieux », etc.

La grande fierté de Jean-Pierre Masclet nous attend à l’extérieur, ce sont les 2’000 m2 des Jardins du Cœur. Il les a dessinés, puis a supervisé la réalisation, tant et si bien qu’il a fini par renoncer à son propre jardin, à Chavornay, où il vit depuis quinze ans.

Ni herbicides ni pesticides, du compost, mieux, des « lombricompost », une mise en valeur d’espèces rares ou oubliées, mais ne lui parlez surtout pas de Bio ! « C’est devenu tellement bobo… »

Ce petit coin de paradis est ouvert à tous (allez-y !). Côté végétal, saule, peuplier, noyer, pommiers, pruniers, poiriers, des groseilles pour la confiture, de la vigne, d’anciennes variétés de tomates (les plantons sont cultivés ici), etc. Côté animal, un hôtel à insectes, deux chèvres, un rucher, un étang hébergeant onze espèces de libellules (dont une sur la liste rouge), etc. Pour le reste, une réserve d'eau de pluie, un toboggan, des murs de pierres sèches, une balançoire, un puits à pompe solaire, un banc, un four à pain, un abri à outils (qui fut un bar lors de l'Expo.02)…

- Ces Jardins ont pour mission de dépasser l’aspect humanitaire et miséreux des Cartons du Cœur. La terre est universelle, elle favorise le partage. C’est là que poussent les racines…

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Elle est arrivée en Suisse le 11 janvier 2007. Il neigeait, elle s’en souvient très bien, elle en rit maintenant. Elle ne connaissait que deux mots français - oui et non - mais elle avait déjà, pour communiquer, son beau sourire. Machchi (portrait du centre) venait de quitter le Sri Lanka pour s’installer à Yverdon.

Aujourd’hui, elle aime emmener ses deux enfants au Jardin japonais, devant la gare. Elle apprécie les trois magasins sri lankais de la ville. Elle va aussi parfois se recueillir au temple hindou de Lausanne.

Ce qui lui plaît à Yverdon ? « On peut marcher à minuit en toute sécurité. Au Sri Lanka, on a peur, même à midi. Et puis ici, les hommes aident à la maison… » Elle regrette par contre les difficultés d’intégration. Elle avoue ne jamais avoir été invitée à manger chez des Suisses.

Machchi fréquente les Jardins du Cœur tous les mercredis, pour rencontrer des gens et travailler la terre. « Chez moi, le sol est très dur et peu fertile. Ici, c’est le contraire. Chez moi, on ne trouve pas de pommes et qu’une espèce de tomate. Ici, il y en de toutes les formes, de toutes les couleurs. Par contre, l’absence d’hiver au Sri Lanka fait qu’on peut cultiver toute l’année ! »

Pense-t-elle rentrer un jour au pays ? « Peut-être, à 65 ans… » Pour l’instant, elle consacre dix minutes par jour à « skyper » avec son frère, en Angleterre, et ses quatre autres frères et sœurs, restés au Sri Lanka.

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T. (portrait de droite) vient nous rejoindre avec son fils cadet de 2 ans. Elle a quatre enfants. Elle vient d’Erythrée. Elle est bénévole aux Cartons du Cœur depuis cet été. Pourquoi ? « Je suis venue, j’ai reçu un carton, alors j’ai demandé si je pouvais aider ». Tout simplement.

L’attraction principale de la ville ? Sans nul doute, le lac. « On peut laisser les enfants jouer dehors, on n’a pas peur. Ils ont les mêmes amis depuis la garderie. »

Ce qui lui manque ? « En Afrique, on invite plus les voisins. Avec les Suisses, c’est souvent : bonjour, il a quel âge ?, vous venez d’où ?... et puis plus rien ».

Un frère vit en Suède. Sinon, toute sa famille est restée en Erythrée. A-t-elle souvent des nouvelles d’eux ? Silence. Regard baissé. Yeux humides. « La communication avec mon pays est un peu difficile… »

Aux Cartons du Cœur, elle a noué de solides amitiés. Elle y a même appris à cuisiner local, à faire la soupe à la courge. Son visage s’ouvre. Elle apprécie le travail d’équipe. On lui transmet les commandes, elle remplit les cartons : fruits, légumes, pâtes, riz, maïs, lentilles, huile, sucre, lait, confiture, céréales, dentifrice, produits vaisselle, gel douche… « Les gens disent merci beaucoup, ça fait du bien ».

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