Première merveille: les castors

Le castor, le rat, le renard et le sanglier

Je m’en allais, peinard,
du Mujon à la Thièle,
Promenade Robert Hainard,
quand une branche,
une branche sur mon chemin…

- Adrienne, ton crayon !

Mais cette branche taillée comme un crayon
n’était qu’un morceau de mon enfance,
ces barrages en travers des rivières,
le jeu de l’ingénieur, du bûcheron,
les scouts de La Roselière,
Yakari, les Castors Juniors.

Il avait disparu,
à cause de la fourrure,
à cause de la viande,
à cause de la chasse,
à cause de l’homme.

19.11.1956
De retour au bord de nos rivières
grâce à Maurice Blanchet,
grâce à Robert Hainard.

Là, sur la Promenade,
avec sa queue en gouvernail,
ses pattes comme des palmes,
ses quenottes comme des couteaux.
Là,
loin des joncs, loin des roseaux,
près d’un grand canard jaune à ressort,
près d’un cheval de bois à bascule,
près des dames de la Gym Dames
qui prennent les colverts pour de la volaille,
près d’une affichette CHIEN PERDU
(un prénom, une photo, une récompense),
près des mouettes, des hérons,
près des aigrettes, des cormorans,
près d’une réserve pour le pouillot véloce,
le vanneau huppé, le tarin des aulnes,
près d’un panneau : « Effectif en hausse
grâce à l’introduction accidentelle
de la moule zébrée »,
près d’un garde-faune à la recherche
d’un canard dit non-désirable.

- Le castor, on l’a vu un soir
vers les vingt heures
au cinéma d’Orbe.
Bienvenue chez les Ch’tis !
Il s’est arrêté devant l’affiche.

- Près du Petit Globe,
il a bousillé un peuplier de dix ans.
Il faut maintenant sauver les troncs
avec du grillage à poule,
de la résine, du sable de quartz.
On a détruit un barrage sur le Bey,
ça gênait la STEP de Champvent…
Les agriculteurs ? Faut plus leur en parler !
Ou alors en rôti.

Le garde-faune a vu la branche.
Il a dit : c’est du saule.
Il a dit : c’est un jeune castor.

- Il est partout maintenant !
Dans trois ou quatre ans,
il faudra le réguler,
le prélever.
Ce qui signifie :
le tuer.

Il dit que, biologiquement,
le castor est un cousin du rat,
de ceux que l’on croise là-bas,
au Camping d’Yverdon Plage.

- Tu vois ce buisson épineux ?
Oui, près du canard à ressort
et du cheval à bascule.
Il y avait là un gros sanglier.
Il en avait après les ordures.
Il aurait semé une de ces pagailles.
Je me suis approché.
Je me suis pris une épine sous la rotule.
J’ai pas bronché.
Il s’est retourné.
J’ai tiré.
Une balle en pleine tête.
Huitante-trois kilos, de dieu la bête !

Son téléphone sonne.
Il y a un renard blessé à Bretonnières.
Il dit : Désolé, je suis en séance.

- Le castor, on se sent proche.
Il a un capital sympathie.
Il n’est pas comme le héron et le renard.
Il est végétarien.
Il ne dérange pas les pêcheurs.
Il ne dérange pas les chasseurs.
Il est rusé, malin.
Jamais on ne l’a retrouvé aplati
sous l’arbre qu’il venait d’abattre.
Pour cela peut-être qu’il est la mascotte
du Massachussetts Institute of Technology.

Texte par Blaise Hofmann et images par Adrienne Barman


version PDF mis en page